Première partie de notre visite en Anjou : le nectar en infusion...Domaine de Juchepie
Que faire un jour de grève nationale, lorsque vous n’y participez pas et que votre enfant de cinq ans se retrouve à vos basques alors qu’il est censé être à l’école la plus élémentaire qui soit ?
Vous prenez la décision de faire ce que vous auriez aimé faire seul, lors d’un moment privilégié, afin de joindre l’utile à l’agréable : vous allez passer la journée en Anjou, dans le giron exceptionnel du plus bel écrin offert au joyau séculaire angevin : le Chenin !
L’A10, le matin vers 7h00 de préférence, au départ de Paris, direction Angers.
Le 24 juin, la journée s’ouvre, magnifique !
Après avoir traversé rapidement les gris dichotomiques des façades urbaines et ceux bitumés et renversants des tunnels banlieusards, des paysages surgissent, éclaboussants de naturel, et filent tout au long du parcours en vert et bleu, en bois et champs, parfois en contre-champ et quelques fois en profondeur de champ…bref, nous voici en pays « enchanté », tout simplement !
D’ailleurs je profite de cette « parenthèse enchantée » pour vous faire part d’ une réflexion récurrente sur le regard : lorsque nous sommes attentifs aux paysages, alors que nous conduisons à la même vitesse sur une autoroute dégagée, la vue se transforme en vision colorée d’un camaïeu improbable issue de la fusion d’images de paysages, de ciel, de nuages réels et, au fil d’un moment atemporel, l’on transite d’un regard direct à celui de notre mémoire « miroir » (images vécues retranscrites), car ces formes impalpables devenues dyslexiques par la vélocité envoutante, conduisent au vortex d’une autre lisibilité, (transvisible), et le regard se projette en vue de ce qui va peut être advenir… ainsi au gré de ces images filantes des paysages, mon regard devient mémoire et s’enfonce vers des lumières plus souterraines comme celles, par exemple, finalisées en un nectar « dit-vin », issu lui aussi de processus de fusions et d’interactions, de la fascinante photosynthèse à la subtile fermentation induite par le vigneron …et c’est vers celui-ci, à nouveau, que je me précipite, à 130 km/heure. …
Trois heures plus tard, nous contournons Angers, en direction de Cholet (N160) et Thouarcé (D160) par la départementale D54 beaucoup plus élégante que l’autoroute …panneaux et vignes s’étirent, des noms chavirent, l’arrivée n’est pas loin !
Quelques ronds-points divaguant sur les directions à venir, dont certaines sont plus que tentantes, mais il faut tout de même rester concentré sur l’objectif initial : le Domaine de Juchepie façonné depuis plus de 20 ans par Monsieur et Madame Eddy Oosterlinck.
Direction Faye d’Anjou, l’une des 6 communes reconnues AOC en coteaux du Layon (Faye-d’Anjou ; Beaulieu-sur-Layon ; Rablay-sur-Layon ; Rochefort-sur-Loire ; Saint-Aubin-de-Luigné et Saint-Lambert-du-Lattay). La route, à ce moment là, devient sinueuse et surtout vallonnée. Nous avançons sur des combes inondées de vignes et de chemins dont chaque carrefour semble nous conduire vers l’Eldorado Ligérien. Néanmoins, il est un peu tôt pour l’apercevoir, car il n’est palpable à l’origine que par les yeux puisqu’il se révèle sous la forme d’une brume généreuse à l’automne entre le Layon et les coteaux, cette brume qui seule permet au Botrytis cinéréa (la pourriture noble) d’apparaitre sur la pruine des raisins caressés ensuite par le soleil… proliférant, vampirisant en quelque sorte la baie jusqu’au flétrissement de celle-ci ! la sucrosité naturelle prenant le pas sur l’eau au fil du temps, c’est à l’orée de ces écarts où, à chaque fois que l’un gagne du terrain l’autre recule, que se joue la plus intense et la plus instable des parties d’échecs ; suivant les aléas de l’été, sa langueur passionnée et communément « indienne » à l’automne, le nectar s’émancipera jusqu’à la quintessence. A contrario, il demeurera aux « quarts » de cet écart, pour donner un breuvage tendre ou moelleux, élégant et délicat.
Entre deux vallons se trouve « juché » sur une de ces petites butes mamelonnées comme le serait un pie, le Domaine de Juchepie ! La maison est attenante à ses dépendances vinicoles et je serais, tout au long de cette visite, en compagnie de (l’autre) Monsieur Eddy, agréablement surpris par l’humilité artisanale que reflète et respire cette exploitation ; tout est à l’image du caractère épuré qui semble alimenter la passion et le travail de la famille Oosterlinck dans l’approche et la réalisation de grands vins de Chenin. Il s’agit plus ici d’une question d’orfèvrerie que d’une simple production de vin, ou de la solution des « vases communicants » dans la « mécaniques des fluides », que d’un quelconque éloge de la productivité de masse …ainsi tout autour du domaine se profile la vigne qui, au terme d’un premier horizon semble s’engouffrer vers le Layon et la Loire…si ce paysage se révèle majestueux, un autre, plus discret et généralement moins visible l’est tout autant ; c’est le sol et les roches sous-jacentes le composant ! Alors qu’Eddy m’énumère les différents types de roches essaimant l’ensemble de ses parcelles, il m’invite à me rapprocher du fossé divisant la route, des vignes. En effet, quelle « coupe » de sol plus efficace que celle-ci ?! D’un seul regard l’on distingue nettement non seulement les roches prédominantes (schistes pourprés et verts dégradés, spilite veinée de phtanite et plus loin rhyolite), mais aussi leur profondeur, car elles apparaissent entre 20 et 40 cm au dessous de la terre ! L’épiderme argileux qui les recouvre est donc fondamental, car si mince soit-il, sa capacité de rétention d’eau par exemple est un facteur important lors de sécheresse ! C’est à cette mesure que l’on peut entendre l’importance du sol et l’influence des roches sur les capacités productives et défensives de la vigne et leur ingérence organoleptique !
En revenant vers les bâtiments de stockage, embouteillage et chai, je ne peux m’empêcher de ressentir combien « l’espace de l’enjeu », (comprenant la viticulture et la vinification), est circonscrit à celui du lieu de vie des Oosterlinck. Ainsi promiscuité et observations « professionnelles » vont de paires avec la vie quotidienne, afin de parer instantanément à la moindre déviance éventuelle, (écueil brutal de la météo, « envolée » d’une fermentation, etc…) ou mieux encore, afin de la prévenir plus que de la guérir ! L’enjeu est d’autant plus important que le Temps est mis à contribution ; moins par sa fonction chronométrique, que par celle qui l’étire d’une saison à l’autre ! En effet après avoir trié les raisins selon leur degré de concentration (30hl/ha pour les secs, 10 hl/ha pour les moelleux et les liquoreux), ils sont pressés dans de petits pressoirs verticaux durant 24 heures. La fermentation, sans levurage ni chaptalisation, se déroule uniquement en barrique de chêne. Un élevage sur lies fines de 10 à 18 mois donne aux vins cette ampleur et structure tellement typiques. Rien ici ne doit être précipité. L’onctuosité, la langueur, le déploiement de la complexité aromatique, la tenue et la teneur de ces mêmes arômes contenus dans le vin « final » provient de cet exil progressif du Temps, qui demande simplement à celui qui l’utilise (le vigneron en l’occurrence) de le laisser capter, voire coopter les différentes essences rencontrées lors de ces échanges fermentaires et ceux durant l’élevage. Eddy Oosterlinck l’a compris depuis longtemps et lorsque nous dégustons ses nectars, qu’ils soient récents ou plus à maturités (2005, 2003, 1997), une incroyable, similaire et donc intemporel (ou presque !) fraîcheur s’en dégage ! Tout comme la sucrosité mesurée de ses cuvées, située toujours en retrait par rapport au fruit, et qui demeure essentiel pour réussir de très grands vins liquoreux ! La sensation qui en ressort est unique à mon sens, c’est la parfaite fusion dans l’effusion…d’une infusion ligérienne « nectarisée » ! Pour le plus grand plaisir du dégustateur, qui ne se lassera pas de cet Eldorado Layonneux…
En quittant cet ilot de sérénité, je ne suis ni triste, ni nostalgique car je me dirige à une dizaine de kilomètre seulement, vers Savennières, un autre lieu magique, aux imprécations mystérieuses, une étape primordiale dans le long cheminement du Chenin…
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