Il est de coutume, en Bourgogne comme dans le Bordelais, d’inscrire sur les étiquettes de ses cuvées : « Grand vin de Bordeaux » ou bien « Grand vin de Bourgogne » ! Cette assertion pourrait tout aussi bien desservir quelques sublimes cuvées ligériennes ou Rhodaniennes, mais on ne l’a trouve guère ! Pourquoi ? Peut être parce que la définition de « Grand » varie selon les régions, ou bien que dans certaines régions, l’on a su rester humble, voire « petit » au seuil d’une administration (AOC) qui semble tarder à se « réformer » sur certains points ?! Alors qu’en est-il vraiment de ce « slogan » devenu conventionnel, bien souvent au mépris de ce qu’il semble définir dans les termes ! Un Bordeaux « supérieur » (supérieur en quoi ?) est affubler du titre de Grand Vin...quid ?
Quand un slogan peut apparaitre avec une telle nonchalance et marquer l’esprit de celles et ceux qui, incidemment, l’impriment, l’on peut s’interroger sur la validité de l’adjectif « Grand ». Selon le dictionnaire, il désigne dans l’ordre physique quelque chose « dont la hauteur, la taille dépasse la moyenne » et/ou plus spécifiquement, « qui atteint toute sa taille ou une taille notable et le développement psychique correspondant » puis par assimilation « dont la longueur dépasse la moyenne » ou encore « dont la surface dépasse la moyenne » etc…
Il apparait que dans sa définition princeps, « Grand » marque une apogée et un dépassement ! Peut on alors dire qu’un Bordeaux supérieur ou bien un Bourgogne sans village, ni climat, est à son apogée lorsqu’il est mis en bouteille et « prêt à boire », voire qu’il dépasse ce que l’on aurait pu imaginer ??
Il y a encore quelques temps je vous aurais confié que non, que tout ceci n’était que publicité mensongère, et qu’en fait de « Grand » il aurait été préférable de substituer « stable » ou bien « à peine sevré », voire « vin parfaitement délité» tant la disproportion entre le contenant et le contenu était… grandissime ! Or, j’ai dégusté depuis, quelques « grandes » cuvées de domaines dans ces régions, mais elles se comptent sur les doigts de la main, alors que le nombre de Bordeaux Supérieur ou de Bourgogne est incommensurable !
Mais revenons à nos moutons, qui n’on rien de Rothchildiens !
Dans l’ordre qualitatif, au sens non mesurable, « Grand » s’avère le plus généralement synonyme de « considérable, important, essentiel, principal », voire en tant que valeur « fameux, glorieux, illustre, supérieur ».
Ainsi donc, si l’on suit cette acception, lorsque l’on ouvre une bouteille de « Bordeaux Supérieur » qualifié de « Grand vin de Bordeaux », l’on s’attend, tel Aladin ne s’y attendant pas du tout, à voir surgir du goulot le Bon Génie dont la taille équivaut à notre plaisir gustatif subodoré par l’étiquette même ! Or, loin de notre vision surdimensionnée (Grand), qui nous promettait un torticolis Gulliverien « façon puzzle » en terme gustatif, l’expérience se transforme en un non-évènement alter–cervicaliste agrée, façon Quichotte !
Il faut dire qu’ils sont nombreux à utiliser avec une condescendance très officielle le slogan devenu sobriquet, que l’on ne distingue plus avec l’acuité nécessaire, si ce n’est hors de nos frontières, quand très justement, certains étrangers, avides de nos prestigieux vins s’évertuent à relire la traduction de la définition « Grand » dans leur dictionnaire, après leur amer déception gustative ! C’est pourquoi, je vous invite tous à déguster les cuvées suivantes, qui m’ont surprises par l’impartialité de ce j’appellerais « le discours de l’étiquette » face au nectar incroyable qu’elles me restituaient, sans oublier le prix qui justifie à plus d’un titre cette sélection de « Grand » vins de Bordeaux et de Bourgogne, aux très humbles appellations ! Château Sainte Marie en bouteille et magnums (foire aux vins) en AOC Bordeaux Supérieur dans des millésimes rares et/ou épuisés…1988, 1996, 1994, 1995, 1998, etc…
Domaine Jérôme Galeyrand (Gevrey Chambertin) en AOC Bourgogne « Antonin » en 2007, Domaine Arlaud (Morey Saint Denis) en AOC Bourgogne « Roncevie » 2007 (disponible en Octobre), Domaine Sylvain Pataille (Marsannay, disponible en octobre) et Domaine « Les Champs de l’Abbaye » (Cotes du Couchois) en AOC Bourgogne 2007 ! A signaler aussi, les Canon-Fronsac du Château Moulin Pey-Labrie en bouteille et magnums dans des millésimes prestigieux (1988, 1989, 1995, 2000) à des prix très, très doux…. Un « Grand » vin se doit donc, je veux le croire, d’inverser l’aspect ascensionnel de l’image acquise par sa première définition, à celle plus langoureusement longitudinale de la bacchanale buccale qu’il procure, le propulsant à sa seconde définition ! C’est alors en mesurant en silence les caudalies, que nous sommes enclins, à terme, à fermer les yeux plutôt qu’à les lever ! Christophe Guitard